3/28/2010

En route vers Djenné



Ségou derrière nous, le Mali profond se dévoile peu à peu sous nos yeux. A chaque tour de roue, se rapprocher de Djenné. A peine la petite ville du bord du Niger quittée, on pénètre dans un tout autre univers. La brousse. Sauvage. Aride. Royaume des baobabs géants. En cette fin de mars, les dernières pluies sont loin, leurs branches sont nues. A les observer, l'on dirait des arbres plantés à l'envers. Les racines tournées vers le ciel. Au fil de la route, on les croise en nombre, ils suscitent un respect que leur démesure impose. Parfois dans un petit périmètre, six d'entre eux se sont réunis. L'impression d'assister à la réunion secrète de grands vénérables venus disserter du sort du monde. Massive incarnation de rondeur et de sagesse.


Les plaines que l'on traverse abritent également des termitières géantes. Ahurissantes. Les plus grandes d'entre elles doivent friser avec les quatre mètres. Certaines semblent dessinées comme de parfaites pyramides. D'autres laissent encore percer la pointe de l'arbuste autour duquel elles se sont bâties. Elles grignotent les arbres comme d'autres du chocolat. Avec un insatiable appétit. Le spectacle offert est réellement étonnant.


En brousse se trouvent aussi, parfois, de petits villages. Ils sortent de nulle part et semble y rester pour l'éternité. Comme la route est quasi déserte, le passage d'une voiture sonne comme un événement. Salutations de rigueur. Sake, Kong, Ouena, Kanouala, Konguena. Chaque nom soulève des rêves d'histoires. La façon dont ils ont gagné cette dénomination. Dans plusieurs d'entre eux l'on peut voir des carcasses de bus sur le côté. Comme autant de bateaux échoués sur la rive. Venus mourir aux portes d'une aventure. L'image est saisissante. Là encore l'imagination travaille sur la fin de vie de ces mastodontes. A force d'avaler du goudron, ils on fait une indigestion.


Dans notre vieille Mercedes décatie, l'air d'une chanson de Janis Joplin dans la tête retentit. 'Oh Lord, won't you buy me a Mercedes'. Quelle voix elle avait la petite dame déjantée. L'esprit vagabonde. Au bord de la route, une horde de mômes, armés de lance-pierres, chassent des lézards. Peut-être s'inventent-ils simplement des histoires. Souvenirs de ces battues de l'enfance. Quand on partait pister les fourmis ou mieux encore les souris. Ce qui se terminait le plus souvent auprès du feu, agrémenté de brochettes imaginaires.


A Pont-Bani, localité traversée par le fleuve Bani, difficile de ne pas être impressionné par les forçats du sable. De jeunes adolescents et des hommes travaillant sur et aux bords du fleuve. Remplissant des bennes de sable à coup de pelletées rythmées. Un travail harassant sous de telles températures. Au sortir de là, nous parcourons une longue digue de plusieurs kilomètres. De part et d'autres quelques rares traces d'eau avec ces points irréguliers autour desquels se retrouve du bétail. Des milliers de vaches et de chèvres viennent ici se restaurer en attendant des temps plus cléments. La verdure y tient encore une petite place, menacée par l'aridité.


Les kilomètres défilent et se rapproche la douce Djenné. Pour la rejoindre, il faut à nouveau traverser le Bani. Un bac passe les véhicules les uns après les autres. Ainsi il faut déjà avoir la chance d'arriver lorsqu'il est du bon côté. Et en plus il convient d'être le premier. Sinon vous risquez d'attendre quelques minutes, laissé à la merci de vendeurs de souvenirs prêts à tout pour gagner quelques sous. Ils pratiquent la technique de l'usure. Ne renoncent jamais. Délesté d'un brin de monnaie, l'entrée dans Djenné n'en est que plus gaie. En quelques centaines de mètres, le choc est entier. On se prend plusieurs siècles dans la tête. Feu le goudron. De petites rues en terre, les maisons en pisé, des voitures que l'on peut compter sur les doigts d'une main. Mais une vie bien foisonnante. Des ânes qui assurent le transport de marchandise dans tous les sens. Des odeurs nouvelles aussi, envahissantes, presque entêtantes. Pléiade d'enfants, des stands dans tous les sens. Le lundi à Djenné, c'est jour de marché. On pense une seconde à 'Peut-être' de Klapisch, ce Paris futuriste entièrement ensablé. Mais les habitations sont ici bien différentes. A l'image de châteaux de sable géant. Proprement bluffant.


Passage devant la célèbre mosquée. Reproduction datant du siècle dernier de l'édifice construit au 13e siècle. Djenné est un haut lieu de l'Islam au Mali. Elle abrite de nombreuses écoles coraniques. Le long du lieu de culte on peut croiser un groupe de petits élèves avec leur professeur, un morceau de bois décoré d'écritures religieuses entre les mains. Comme nous confie un homme dans une boutique, la population est musulmane à 100%. On ressent une certaine quiétude sans doute empreinte d'un brin de mysticisme. Mais à cette époque et en étant blancs, ce calme est bien vite emporté par une foule de vendeurs. Porte-clef, colliers, tissus, calebasse... Il faut tout acheter. Pour chaque vendeur nous sommes 'le premier client' même si c'est la fin de la journée... Il convient de 'l'encourager'. Ils vous serinent des 'fais moi plaisir, je te fais un petit prix'. Encore une fois, délicat de se soustraire aux achats. Qu'importe, espérons que cela apporte un brin de lumière aux vendeurs et qu'il en soit de même pour ceux qui recevront ces présents.


Journée richement remplie. De paysages et de rêverie. Temps pour un peu de répit, ivre des beautés du Mali.

3/21/2010

Ségou la zen



Arrivée en bus. Ces maudits bus surchargés et chauffés à blanc. Cette fois, le trajet depuis Fana, 130 kms, est beaucoup plus digeste. Un ou deux petits arrêts entre les deux villes pour faire descendre des utilisateurs. Quand un bus s'arrête dans un village, c'est un peu de vie extérieure qui lui arrive. Cela sort certainement la population de son isolement. Alors une nuée de petits vendeurs s'engouffre dans les portes du véhicule. Manioc, jus congelé sous plastique, poches d'eau, gâteaux. Un peu de tout et beaucoup de pas grand chose. Le bus soulève un espoir, il sort le village de sa torpeur. Fait s'activer les vendeurs.

Ségou. Descente du bus pour monter dans un taxi. Pendant le trajet en bus, j'avais pensé qu'il pourrait s'avérer judicieux d'attendre la fin d'un parcours en taxi pour en négocier le prix. Quand vous arrivez dans une ville, vous ne connaissez pas les distances. Difficile alors de se mettre d'accord sur un prix à l'avance. Le chauffeur nous emmène sur un km et demi. Il demande 2500 FCFA. A peu près cinq fois le prix que quelqu'un paierait ici. Un peu vexant une fois encore de se faire prendre pour la poule aux œufs d'or. L'homme parle en plus très mal le français, difficile d'argumenter. On donnera quand même 1000 de moins.

Arrivée à l'hôtel qui était censé avoir internet, pas de connexion. Sourire. Normal. On commence à s'y faire. 'Aujourd'hui il n'y en a pas. Demain inch'allah'. Il a bon dos dieu. On lui met tout dessus. Comme ces hommes avec qui nous discutions à Fana. Et qui nous soutenez que c'était bon d'avoir huit gosses. Que dieu s'occuperait d'eux. Et les élèverait. Faut pas pousser tout de même. La piété a bon dos... Donc pas de lien avec l'extérieur. Nous partons arpenter la ville. Aux abords de l'hôtel, certaines rues sont quasi désertes. On y voit de grandes constructions datant certainement de la colonisation. Le guide évoque leur élégance surannée. Gentil. Elles sont en fait complètement décaties. Apparemment habitées mais pas du tout entretenues. Un petit air de western. Villes fantômes où roulent ces bobines d'on ne sait trop quoi. Le soleil a disparu lui aussi. Au dessus du fleuve, on voit comme de la brume. Il s'agit en fait de poussière en suspension. Joli spectacle.

Quelques pas plus loin, l'on se renseigne pour une ballade en pirogue pour se retrouver dans un atelier de fabrication de bogolans. Allez comprendre... Il s'agit d'un tissus traditionnel. Ce sont des bandes de tissus teintées avec des pigments naturels tels que l'indigo ou plus simplement l'argile et la terre. Ici ce sont les hommes qui travaillent. Les tâches pénibles et physiques sont généralement dévolues aux femmes. Comme cent mètre plus loin dans la même rue. Au sortir de leur demeure, deux jeunes femmes pilent le mil. En rythme, elles s'encouragent et frappent de leur grand bâton la céréale recueillie dans un récipient en bois. On se rapproche, elles nous invitent à essayer. Le travail est difficile, encore plus sous ces températures.

Notre chemin nous pousse un peu plus loin. Rendez-vous avec une association de femmes. Elles ont pris le nom de Sabounouma, entraide en Bambara. 44 femmes se sont regroupées afin de pouvoir chacune développer une petite activité commerçante. Qui vend du poisson, qui fait de la couture. Qui de la teinture, qui part au Burkina Faso acheter tout ce qu'elle trouve pour le revendre au marché de Ségou. Elles se réunissent une fois par semaine. Chaque femme doit alors s'acquitter de 300 FCA qui sont mis dans la cagnotte. Elles peuvent chacune demander des micros-crédits de 50 000 à 150 000 FCFA et devront les rembourser au bout de trois mois avec un intérêt de 10%. D'après leur témoignage cela fonctionne et elles en semblent heureuses. Iwona tire leur portrait que nous leur enverrons à notre retour.

Pourquoi ne pas maintenant rentrer à l'hôtel se reposer? Riche idée. Un petit taxi moto et notre salut se profile. Du goudron au Motel, on passe par une sorte de terrain vague sur lequel se déroule le fameux festival de musique et d'arts 'sur le Niger' qui a lieu au mois de février. Il y a aussi un but et une poignée de joueurs de football. L'un d'eux rate sa frappe et le ballon se retrouve dans mes pieds. C'est parti pour une petite partie. Pas besoin de se parler la balle est notre lien. Grand plaisir de partager ce moment avec eux. Même s'il faut avouer que la chaleur attise bien vite la soif et que la gorge se fait rapidement sèche. Qu'importe, nous échangeons avec le sourire des passes et un peu plus. Un dernier but pour la route, il est plus que temps d'aller boire un peu, beaucoup, énormément. Le repos, après cette belle journée, nous attend.

PS: Merci des commentaires ou suggestions que vous pourrez faire. L'interaction a du bon nom de nom!

Le temps



Ici en cet autre continent, le temps est différent. Si sur les montres on le voit s'écouler dans le même sens, sa notion chez les Africains n'est pas la même. Le temps s'étend. Il a fait sa mue et nous fait souvent la moue. Il s'étire, parfois infiniment.

Prenons un exemple concret. A Fana on se déplace beaucoup en moto taxi. Engin bien particulier. Une moto qui tire une petite extension bâchée avec des bancs sur les côtés. Le genre de transport sans ceinture dans lequel il vaut mieux s'accrocher. Et quand bien même il faut être prêt à se faire chahuter. Trêve de digression. Le premier moto-taxi que vous prenez vous donne derechef son numéro. Afin de bénéficier de l'exclusivité. C'est qu'à la saison morte le pigeon se fait rare. Du coup il convient de l'appeler à chaque fois que vous en avez l'utilité. Dans votre humble sagesse d'Européen, vous vous dites qu'il est bon d'anticiper afin de ne point trop poireauter. Au téléphone, le type, qu'il soit à 500 mètres ou à 5 kms, vous répond toujours la même expression. Il sera 'là dans 15 minutes'. La première fois cela rassure. Puis l'on attend. Un quart d'heure. Vingt minutes. Une demi heure. Là, vous qui vouliez aller au restaurant, vous dites que le ventre creuse et que la route à pied conviendra aussi bien. Vous vous mettez en route puis au bout d'un bon quart d'heure, vous apercevez dans l'autre sens votre taxi qui vous sourie. Trop tard, vous venez à l'instant de rentrer dans un second. L'homme appelle pour une explication. Heureusement que le sort choisit de vous placer dans un taxi qui lui appartient aussi. Son petit quart d'heure était en fait presque une heure.

En Afrique on apprend un autre temps. On étudie la patience. Avoir son temps lors de l'achat d'un objet d'art car négocier ne se fait jamais sans histoires. Ne pas être pressé quand on attend le bus ou un quelconque transport en commun. Les restaurants restent finalement bien souvent les plus réactifs.

Autre chose. Ici on a une furieuse tendance à vous prendre pour une buse. Comme les gens partent du principe que tout blanc est riche, il faut en profiter au maximum. Bien traire la vache à lait. Alors on a assez régulièrement des surprises et autres dépenses imprévues qui viennent s'ajouter au programme. Il ne faut pas être naïf. Si les gens sont extrêmement accueillants et chaleureux, on ne peut leur retirer, presque rien ici ne sera gratuit. Cela donne lieu à des ruses pour le moins loufoques. A l'hôtel par exemple. En arrivant l'on vous dit que les chambres sont petits déjeuner compris. Le jour où vous partez, le gérant vous annonce la bouche en cœur qu'il s'agit d'un petit déjeuner compris et non pour les deux personnes qui occupent la chambre. Il faut payer le petit déjeuner supplémentaire. La faute à Voltaire. Cette fois-là, nous exprimons notre étonnement et heureusement sans grande lutte l'homme n'insistera pas.

Les exemples ne manquent pas. Nous sommes passés à la mairie de Fana. Se renseigner sur des associations de femmes dans le village. Après avoir discuté avec le maire, là aussi apprendre la patience en présence d'un politicien, un de ses adjoints nous propose d'aller visiter un village limitrophe. Sur le moment, il ne parle que de la visite. Présenté d'une façon qui ne laisse pas imaginer qu'il faudra payer. Le jour convenu, il faut d'abord acheter un petit présent pour le chef du village en question. Ensuite payer l'essence de la voiture pour le trajet. Rétribuer les gens qui nous accompagnent. Le chef du village reçoit aussi un peu d'argent. Rien n'est dit mais en ce qui concerne l'argent il n'y a jamais d'oubli. Cela rend parfois un peu pesante la présence ici. Difficile de réellement rencontrer les gens autrement que dans des relations mercantiles ou finalement assez courtes et superficielles. Il ne faut pas noircir le tableau outre mesure. Vous croisez un inconnu. Il vous demandera des nouvelles de toute votre famille et même de votre pays. Mais l'on aimerait aller plus loin. Parler de vision de la vie. De rêves. Or il s'agit souvent d'aller en Europe se faire un place au soleil.

La vision que les gens ici ont de notre continent paraît plutôt édulcorée. Eldorado. Paradis. Pour eux, il est facile d'y trouver un emploi et de bien gagner sa vie. Beaucoup parlent de tenter l'aventure pour pouvoir revenir ici, bâtir une maison et des murs. Certains pères veulent que leur fils partent pour devenir footballeur professionnel. Les adultes, eux, se disent prêts à accepter n'importe quel boulot pénible pour peu qu'il leur rapporte un peu. Mais ils oublient bien souvent de mettre en perspective le coût de la vie qui est proportionnel. Ils omettent aussi le fait qu'il n'est pas si évident de trouver un emploi en Europe. De le garder non plus. Notre continent s'apparente un peu à un mythe. Un vieux rêve vers lequel on tend. Une perspective plutôt improbable qui aide à avaler l'âpreté du quotidien.

3/11/2010

Océan noir


Jeudi ensoleillé. Ballade à Bamako. Au Centre Culturel Français. Au gré du hasard, nous arrivons pour l'inauguration d'une exposition. 'Océan noir' de William Wilson, artiste Franco-Togolais. A travers 18 tentures, l'homme a tenté de retracer les relations entre l'Afrique et l'Occident, du 15e siècle à nos jours. Tant passionnant qu'édifiant. Superbe aussi.

L'artiste est parti à la recherche de ses racines familiales avant d'effectuer ce travail. Après quelques temps, il a appris que sa famille Togolaise faisait partie des grandes lignées qui participaient à la traite des esclaves. Sa réflexion s'est ainsi nourrit de sa petite et de la grande Histoire. En utilisant les techniques traditionnelles de la région d'Abomey au Bénin, il a confectionné cette série de tentures. Comme un pont entre les temps. Si l'art touche à la tradition, son aspect tutoie la bande dessinée. Voire le patchwork. On y retrouve la traite négrière, la colonisation, la décolonisation, le combat des droits civiques aux États-Unis. Tommie Smith. Bob Marley. Marcus Garvey. Duke Ellington. Bob Beamon. Malcolm X. Scott Joplin. Tous ces noms et bien d'autres se croisent sur l'oeuvre 'Black and proud'. Hailé Sélassié. Fela Anikulapo Kuti. Nelson Mandela. Roger Milla. Amadou Hampaté Bâ. Cesaria Evora. Eux se sont donnés rendez-vous sur la tenture 'Africa Unite'.

Un peu plus loin, une des œuvres la plus jolie et intéressante. Deux cartes de l'Afrique se jouxtent. A gauche, le continent colonisé. Morcelé au bon gré de la volonté des puissances Européennes. Seul un petit coin de terre à l'est conserve son autonomie. Ainsi résiste l'Éthiopie. Les règles de la colonisation avaient été établies lors de la conférence de Berlin, entre 1884 et 1885. A gauche, des loups grignotent l'Afrique. A droite, des petits hommes noirs lèvent la main au ciel en signe de victoire. Au Mali, il aura fallu 1960 pour obtenir l'indépendance. On en célèbre le cinquantenaire cette année.

Des histoires et de l'art plein la tête, nous gagnons la ferveur de la rue. Sa chaleur aussi. Direction la maison des artisans. Un bon quart d'heure de marche nous attend. Les rues sont pleines d'une foule en mouvement. Quand les Bamakois se mettent en marche, ils ne plaisantent pas. Les marchés sont bondés. Tout ce monde et ces couleurs en mouvement. Vraiment impressionnant. Nous nous touchons à notre destination. Mais l'idée ne s'avère sans doute pas des plus judicieuses. Pas de touristes. Nous sommes les seuls blancs apparents. On devient un enjeu pour l'ensemble des marchands. Ils nous attirent chacun de leur côté. Difficile de résister. D'autant plus que les produits artisanaux sont d'une grande beauté. Nous repérons quelques masques. Marka. Senoufo et Bambara. Embarras du choix.

Nous nous fixons sur l'un d'eux. La négociation peut débuter. Un véritable art. Essayer d'y couper c'est offenser. Le vendeur donne son premier prix, très gonflé. Il te demande de donner le tien. Au départ entre les deux c'est le grand écart. L'homme te dit fou. Tu lui réponds non. Que tu es simplement étudiant. Il te demande de faire un pas vers lui. Toi tu lui rappelles qu'il t'a promis un petit prix. Dix minutes écoulées. Ainsi de suite. Chacun fait un pas. Petit à petit. L'objet se rapproche ou s'éloigne. Cette fois-là, impossible de tomber d'accord. Après une petite demi-heure, nous prenons la tangente. Pas le temps de faire 100 mètres que l'homme nous rattrape. Il propose un dernier rabais. Encore trop loin de ce que nous nous étions autorisé. L'affaire tombe à l'eau. L'homme fait un peu le masque.

3/07/2010

Parti pour un Tour



Dimanche 7 mars 9h00. Avenue de l'Indépendance. Bamako. Mali. Le microphone trésaille au son de la voix de Soufiane Coulibaly, speaker officiel. Le Tour du Mali déploie ses ailes. Première édition, premiers frissons. Une à une, les équipes défilent, sont présentées par cet homme à l'humour affirmé. Parmi les éléphants on trouve 'le coureur le plus rapide de l'Ouest, le Didier Drogba du vélo, le Lucky Luke de Côte d'Ivoire. Il roule plus vite que son ombre'. En même temps sur cette Avenue bien dégagée, difficile d'une quelconque ombre déceler.

Les supporters sont venus en nombre. 40 000 personnes le long du parcours. Un groupe de Maliens musiciens, tout en vert, jaune et rouge harangue la foule. La joie crépite dans les regards croisés au gré du hasard. On sent une attente énorme autour de cette grande fête populaire et colorée. La clameur des supporters devrait porter les coureurs sous cette intense chaleur. Le long de la voie, des cris de joie, plein de bambins aux airs coquins. Le départ du prologue, baptisé 'un dimanche à Bamako', est donné. Le circuit tourne autour de l'Avenue de l'Indépendance. Dès le premier virage, un toubabou attaque comme un pauvre fou. Il tient la corde bien peu de temps. Le capitaine de l'équipe du Maroc le rejoint rapidement. Le Marocain, plus puissant et malin, le distance aussi sec. La chaleur s'installe comme la ferveur.

Trois tours couverts. Sept à venir. Le leader appuie son effort et creuse un écart d'1min 17 sec. Soufiane parle maintenant de 'machine de guerre'. 'Une fusée lancée dans la ville de Bamako'. Toute action entraine une réaction. Arrive celle du peloton. L'écart se consume peu à peu pour se stabiliser autour de la minute. La course passionne la foule. Mais comme le souligne le présentateur 'la plus belle victoire du jour ne sera pas la nationalité du vainqueur mais bien d'avoir réussit à réunir l'ensemble de la jeunesse Africaine'. Le succès est assuré. Nul possibilité d'en douter. En marge du vélo, je discute avec Mohammed, jeune homme d'une dizaine d'année. Il rêve de devenir footballeur en France. Me demande si c'est difficile. J'essaye de ne pas briser ses rêves tout en lui donnant une réponse lucide. Peu d'élus. Deux roues ont encore bien du mal à rivaliser avec un ballon rond.

Retour à la course. L'écart est tombé à 40 secondes. 'Le vélo, c'est l'invitation à se dépasser'. Sous 40° Celsius, on veut bien vous croire. 'Le Burkinabé, le Malien et le Français ont décidé de mettre le turbo à cinq tours de l'arrivée'. Aux trousses du fuyard ils sont lancés. Le speaker s'inquiète une seconde 'le capitaine de l'équipe du Maroc a disparu. Est-ce qu'il s'est fait manger?'. Le suspense reste entier. Effectivement, un Malien se rapproche de la tête de course. Les sourires se décuplent, la ferveur monte d'un cran. Les bambins sont rayonnants. Ils lancent tous ensemble des 'du courage!'. La course s'emballe et devient folle. 'Monsieur le Ministre, ça devient de la bouillabaisse, ça attaque de toute part'. Tout le monde décolle et à l'écoute du speaker l'on rigole.

Trois tours à couvrir. L'avance fond comme neige au soleil Malien. 32 secondes. Un Marocain peut en cacher un autre. Dans un dernier effort, le capitaine est rejoint par ses lieutenants. Ils finissent tous les quatre seuls devant. 'La tempête de Casablanca a soufflé sur Bamako'. Et 'pour une fois, ce sont les Européens qui sont en retard'. Le public est conquis, ravi. Remise des prix. Lancé sur des chapeaux de roue ce Tour du Mali. Longue vie à lui.

3/01/2010

Afriquotidien




Rien de tel que de s'écarter un peu du bouillonnement de la capitale pour prendre le pouls du pays. En brousse ou dans les petits villages. Aujourd'hui à Koulikoro, ville mystique. Abdul Baki Cissé, notre guide pour la journée, nous embarque dans son pick-up climatisé. En route pour la tournée sur son secteur. L'homme politique qu'il est le connait bien. Après une vingtaine de kilomètres, nous commençons par la visite du groupe scolaire Emile Delassus Camara. Le professeur Jean Bengaly dans l'enceinte de l'école nous convie.

L'institution donne cours pour de nombreux villages alentours. Elle manque de tout. De nombreuses salles de classe se sont effondrées. De fournitures scolaires de base comme des bics, du papier, de la craie, des manuels scolaires, des bancs pour s'assoir. Équivalent de notre collège, elle prépare au Brevet des Collèges. Même si les examens ici sont pour le moins curieux. En raison du trop grand nombre d'élèves, les professeurs ont des consignes et le redoublement n'est pas permis. Il arrive donc bien souvent que lors des examens, le tableau noir pose les questions et offre les réponses simultanément. Les élèves n'ont plus qu'à recopier pour passer. Comme nous dit Jean, certaines classes contiennent jusqu'à 130 élèves. Dans un espace fort réduit. Sans doute guère plus de 40 m². Des endroits surchauffés si l'on regarde le toit en taule ondulée ajouté à la forte densité.

Les enseignants sont ravis de nous recevoir dans leur lieu de travail. Mais ils s'empressent de nous alerter sur l'ensemble des problèmes qu'ils rencontrent. Ils nous demandent d'en parler, de faire quelque chose. Dans cette école à l'heure de midi, alors que tous les élèves étaient partis, une jeune fille errait dans une salle vide. Cette jeune écolière du nom de Maba Diara habite à 8 kms de l'école. Sa famille n'a rien. Elle vient tous les matins en vélo et repart de la même façon le soir. Le midi, elle ne mange pas puisqu'elle n'a pas d'argent. Elle attend juste que les cours reprennent, regardant à travers la fenêtre avec une certaine fatalité. Une situation intenable qui ne peut que révolter.

Nous quittons les bancs et autres tableaux noirs pour gagner les plages du fleuve Niger. Un paysage à couper le souffle. L'eau, étendue sur une immense largeur. Quelques embarcations animées d'une poignée d'âmes dont une qui tient une longue perche. Aux bords du fleuve, dans des eaux stagnantes, des femmes à moitié immergées. Elles cherchent du gravier. Sous la couche de sable, elle le récupèrent à longueur de journée. Par seau, elles le ramènent au bord de l'eau pour faire de petits tas qui s'agrandissent lentement. Pour le groupe de femme que nous avons rencontré, il faut environ 20 jours pour produire de quoi remplir une benne. Celle-ci sera vendue à Bamako entre 50 000 et 60 000 FCFA. Après calcul, elles gagnent environ 500 FCFA par jour soit moins d'1€. Une broutille pour un travail physique épuisant. Malgré tout, elles semblaient ravies de notre visite, heureuses de poser pour une photo.

Journée aussi poignante qu'enrichissante. Nous commençons à tutoyer une certaine réalité, très difficile mais bien réelle. Les gens n'ont rien et pourtant personne ne se plaint. Il faudra à l'avenir réfléchir à comment apporter notre humble aide depuis la France. De telles situations ne peuvent laisser indifférent. Il faut aller de l'avant.

Koulikoro



Tout finit à Koulikoro. Aux alentours de Bamako. C'est ce que l'on dit. Depuis le 19 novembre 1968 qui y a vu l'arrestation par une junte militaire de Monsieur Mobido Keita, Président de la République du Mali. C'est une ville crainte, mystique, qui véhicule ses histoires. Certaines d'entre elles se muent en légendes qui traversent les siècles.

Celle de Soumangourou Kante et de Soundiata Keita en est une. Un des points de départs de l'Histoire du Mali. A l'époque, le pays est dominé par le royaume de Sosso et son chef si cruel Soumangourou Kante. Il causait beaucoup de ravages à travers ses diverses incursions militaires, tuant tout sur son passage. On raconte même qu'il était couvert d'habits confectionnés en peau humaine. Ses chaussures y compris. Il était un chef craint de tout le monde et l'on se demandait comment vaincre un tel guerrier. C'était un grand sorcier faisant régner la terreur. On lui prêtait le pouvoir de prendre diverses formes comme celle d'une pierre par exemple. Soundiata Keita, allié des Rois Malinkés et parti en exil, fut sollicité pour libérer sa patrie. En Bambara le mot Keita signifierai littéralement 'prend le pouvoir'. Alors que Soumangourou remportait quatre grandes batailles successivement, quelqu'un eu l'idée de le perdre par le pouvoir des femmes. Alors la petit sœur de Keita lui fut offerte en mariage. Sa 301e femme pour être précis. Sa propre mère essaya bien de le mettre en garde contre les dangers que peut réserver la femme, Soumangourou se laissa pourtant enivrer. Et commença à se confier. Il avoua à sa nouvelle femme que seul une flèche constituée d'un ergot de poulet blanc pouvait le tuer. A part cela, aucune lame, aucune balle ne saurait lui être fatale.

La sœur de Keita continua à l'enivrer et transmit le secret à son frère. Eut lieu alors la bataille de Kirina. Touché par la flèche maudite, Soumangourou se sait vaincu et fut contraint à la fuite. La colline où il se trouvait se serait alors fendue en deux pour le laisser passer. Il s'évanouit ainsi dans la montagne. Aujourd'hui encore, les gens doutent de sa mort. Ils se demandent quel type de vie anime cette colline. Selon eux elle reste hantée. A cause de cela, on fait chaque année des sacrifices au fétiche Nianal qui a la forme d'un serpent.

Suite à la disparition de Soumangourou, Soundiata Keita devient l'Empereur du Mali de 1235 à 1255. A l'Empire Sosso, qui avait su profiter de la faiblesse de l'Empire du Ghana pour asseoir sa puissance, succéda l'Empire Mandingue. Si l'on revient un peu en arrière, en 1050, le Mali se composait de trois principautés: Kli, Do et Bouré. C'est Bara Mandana Konati qui les unifia et en fut le premier suzerain. L'unité dura jusqu'au 15e siècle. Le déclin fut favorisé par les Rois qui, aveuglés par leur soif d'argent et de pouvoir, se désintéressèrent peu à peu de l'indépendance du Mali. Le territoire fut également l'objet d'attaques extérieures du fait des Espagnols et des Songhaï. Peuple originaire du Diendi, dans la région du Nord de Niamey (Niger), les Songhaï établirent un petit royaume à Gao. Ils dominèrent le Mali sous la direction de leur chef Sonni Ali qui monta sur le trône en 1464. En tout cinq royaumes se sont succédé au Mali: l'Empire du Ghana, du Mali, Songhaï, Bambara de Ségou et Peul du Macina.

A Koulikoro, il y a aussi l'histoire de la montagne de Sambakoro. Un homme nommé Samba aurait essayé de séparer deux collines rivales en plein conflit. Les deux montagnes ne se laissant pas faire, il se retrouva coincé entre celles-ci. La légende explique ainsi la forme si particulière de cette formation rocheuse. Enfin, il y eut apparemment des rats venus de Dakar qui ont arrêté leur route et n'ont pas pu aller plus loin. Tout finit à Koulikoro, les rats, les chefs d'Etat en fuite, les guerriers sanguinaires. Tout, sauf notre voyage.