3/21/2010

Le temps



Ici en cet autre continent, le temps est différent. Si sur les montres on le voit s'écouler dans le même sens, sa notion chez les Africains n'est pas la même. Le temps s'étend. Il a fait sa mue et nous fait souvent la moue. Il s'étire, parfois infiniment.

Prenons un exemple concret. A Fana on se déplace beaucoup en moto taxi. Engin bien particulier. Une moto qui tire une petite extension bâchée avec des bancs sur les côtés. Le genre de transport sans ceinture dans lequel il vaut mieux s'accrocher. Et quand bien même il faut être prêt à se faire chahuter. Trêve de digression. Le premier moto-taxi que vous prenez vous donne derechef son numéro. Afin de bénéficier de l'exclusivité. C'est qu'à la saison morte le pigeon se fait rare. Du coup il convient de l'appeler à chaque fois que vous en avez l'utilité. Dans votre humble sagesse d'Européen, vous vous dites qu'il est bon d'anticiper afin de ne point trop poireauter. Au téléphone, le type, qu'il soit à 500 mètres ou à 5 kms, vous répond toujours la même expression. Il sera 'là dans 15 minutes'. La première fois cela rassure. Puis l'on attend. Un quart d'heure. Vingt minutes. Une demi heure. Là, vous qui vouliez aller au restaurant, vous dites que le ventre creuse et que la route à pied conviendra aussi bien. Vous vous mettez en route puis au bout d'un bon quart d'heure, vous apercevez dans l'autre sens votre taxi qui vous sourie. Trop tard, vous venez à l'instant de rentrer dans un second. L'homme appelle pour une explication. Heureusement que le sort choisit de vous placer dans un taxi qui lui appartient aussi. Son petit quart d'heure était en fait presque une heure.

En Afrique on apprend un autre temps. On étudie la patience. Avoir son temps lors de l'achat d'un objet d'art car négocier ne se fait jamais sans histoires. Ne pas être pressé quand on attend le bus ou un quelconque transport en commun. Les restaurants restent finalement bien souvent les plus réactifs.

Autre chose. Ici on a une furieuse tendance à vous prendre pour une buse. Comme les gens partent du principe que tout blanc est riche, il faut en profiter au maximum. Bien traire la vache à lait. Alors on a assez régulièrement des surprises et autres dépenses imprévues qui viennent s'ajouter au programme. Il ne faut pas être naïf. Si les gens sont extrêmement accueillants et chaleureux, on ne peut leur retirer, presque rien ici ne sera gratuit. Cela donne lieu à des ruses pour le moins loufoques. A l'hôtel par exemple. En arrivant l'on vous dit que les chambres sont petits déjeuner compris. Le jour où vous partez, le gérant vous annonce la bouche en cœur qu'il s'agit d'un petit déjeuner compris et non pour les deux personnes qui occupent la chambre. Il faut payer le petit déjeuner supplémentaire. La faute à Voltaire. Cette fois-là, nous exprimons notre étonnement et heureusement sans grande lutte l'homme n'insistera pas.

Les exemples ne manquent pas. Nous sommes passés à la mairie de Fana. Se renseigner sur des associations de femmes dans le village. Après avoir discuté avec le maire, là aussi apprendre la patience en présence d'un politicien, un de ses adjoints nous propose d'aller visiter un village limitrophe. Sur le moment, il ne parle que de la visite. Présenté d'une façon qui ne laisse pas imaginer qu'il faudra payer. Le jour convenu, il faut d'abord acheter un petit présent pour le chef du village en question. Ensuite payer l'essence de la voiture pour le trajet. Rétribuer les gens qui nous accompagnent. Le chef du village reçoit aussi un peu d'argent. Rien n'est dit mais en ce qui concerne l'argent il n'y a jamais d'oubli. Cela rend parfois un peu pesante la présence ici. Difficile de réellement rencontrer les gens autrement que dans des relations mercantiles ou finalement assez courtes et superficielles. Il ne faut pas noircir le tableau outre mesure. Vous croisez un inconnu. Il vous demandera des nouvelles de toute votre famille et même de votre pays. Mais l'on aimerait aller plus loin. Parler de vision de la vie. De rêves. Or il s'agit souvent d'aller en Europe se faire un place au soleil.

La vision que les gens ici ont de notre continent paraît plutôt édulcorée. Eldorado. Paradis. Pour eux, il est facile d'y trouver un emploi et de bien gagner sa vie. Beaucoup parlent de tenter l'aventure pour pouvoir revenir ici, bâtir une maison et des murs. Certains pères veulent que leur fils partent pour devenir footballeur professionnel. Les adultes, eux, se disent prêts à accepter n'importe quel boulot pénible pour peu qu'il leur rapporte un peu. Mais ils oublient bien souvent de mettre en perspective le coût de la vie qui est proportionnel. Ils omettent aussi le fait qu'il n'est pas si évident de trouver un emploi en Europe. De le garder non plus. Notre continent s'apparente un peu à un mythe. Un vieux rêve vers lequel on tend. Une perspective plutôt improbable qui aide à avaler l'âpreté du quotidien.

3 commentaires:

  1. Merci pour ces infos régulières de votre périple africain.Cela me replonge dans le même périple du début de ma carrière journalistique. C'était un de mes premiers "engagements rémunérés". A la télévision scolaire de Niamey au Niger...dans les années 70 ! Jean Rouch y tournait ses films ethnologiques et je m'étais lié d'amitié avec Moussa Hamidou qui était son opérateur son...En ce temps là, les nagra son de 12 KGS en pesaient bien Treize ou quatorze (le sable s'infiltrant partout lors des tournages dans le désert ! C'était passionnant. A propos de l'épargne entre femmes, j'aimerais savoir s'il s'agit, comme au Cameroun, du système de tontines sur lequel je me suis longuement penché en son temps dans des reportages au Cameroun et au Togo ?
    LES TONTINNES ?
    Le Cameroun mais surtout le pays Bamiléké est le lieu de prédilection des tontines. La tontine peut exister sur tous les continents et le nom français vient d'un banquier italien, Lorenzo Tonti, qui passe en Europe pour en être son créateur.

    La tontine est d'abord un groupe d'amis qui vont développer un système d'épargne communautaire. Le principe de la tontine est très simple : un groupe de personnes, va se retrouver tous les mois(en Afrique, souvent les femmes) Chaque mois, durant 10 mois, les membres versent une certaine somme, 20 000 Fcfa par exemple. Ainsi le groupe disposera de 200 000 Fcfa, ce qui est une somme non négligeable qui permettra de faire un investissement notoire. Préalablement, le groupe aura défini, en fonction des besoins et des prévisions de chacun, l'ordre dans lequel les différents membres vont bénéficier du magot. Chaque membre va « bouffer la tontine » une et une seule fois. La tontine peut donc se décrire du point de vue financier comme un système d'épargne et de crédit communautaire.
    (A suivre...)

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  3. Salut Pierre! Merci à toi de prendre le temps de lire et de poster des commentaires ;)
    Ca devait être quelque chose de se trimballer un Nagra de 12 kg au Niger. Pour répondre à ta question sur l'épargne et la micro-finance, il s'agit bien du modèle de la tontine. On le retrouve un peu partout ici au Mali dans les associations de femmes. Il y a quelques jours, nous rencontrions des femmes qui font des colliers et des bracelets à Djenné. Elles cotisent un peu à chaque fois qu'elles se retrouvent pour alimenter une caisse qui servira pour des prêts. D'un autre côté à chaque fois qu'elles se voient elles donnent chacune un bracelet et l'une d'entre elle reçoit l'ensemble pour le vendre. C'est un système ingénieux et je pense indispensable. En tout cas, malgré quelques difficultés, normales, on se régale ici. Surtout quand on s'enfonce dans le pays et que l'on découvre ses petits villages. J'espère que tout va pour le mieux de ton côté. Merci encore pour ton mot, je t'embrasse.
    gabriel

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